Natalia et Valentin sont deux jeunes scientifiques passionnés par les micro-organismes marins et la photographie. Ensemble, ils ont réalisé de magnifiques et surprenants clichés de radiolaires, qui sont une partie du plancton marin. Soutenant leur démarche, Iodysseus leur permet d’exposer ces photographies, pour le plaisir des yeux, l’avancée de la science et la sensibilisation du grand public.
Iodysséus - Natalia et Valentin, pouvez-vous vous présenter et nous dire comment est né ce projet photographique ?
*Radiolaire - © Natalia Llopis et Valentin Foulon
Natalia Llopis :
Valentin est le pro de la technique photographique. Je suis espagnole et je suis venue en France pour faire mon Master en océanographie. J’ai fait ma thèse à l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) de Brest. Avant mon Master, j’avais travaillé sur le plancton comme assistante d’ingénieur dans un laboratoire à Villefranche-sur-Mer. J’étudie le plancton depuis le début de ma carrière scientifique. J’ai par la suite eu l’opportunité d’étudier les radiolaires et la silice. Ces organismes sont encore méconnus et il n’y a que quelques années que l’on étudie leur rôle dans le cycle biogéochimique de l’océan. Leur biomasse est très importante. On l’évalue à près de 30% de la biomasse totale du zooplancton. A ce jour, nous ne savons pas quel est leur mode de reproduction ni la manière dont ils procèdent pour capter et transformer la silice qui est dissoute dans l’eau de mer. Tous les radiolaires ne fabriquent pas leur squelette en silice, mais ce sont ceux-là que j’étudie. Nous cherchons notamment à savoir s’ils entrent en compétition avec les diatomées, lorsqu’il y a moins de silice dans l’eau de mer. Nous nous demandons encore si, dans les eaux profondes d’où les diatomées sont absentes, ils réalisent à eux seuls le cycle chimique de la silice.
J’ai collecté des échantillons de radiolaires dans plusieurs zones de l’océan mondial : en mer de Ross dans l’Antarctique, dans l’Atlantique, en mer Méditerranée… Pendant les comptages, pour estimer leur abondance, j’ai commencé à isoler certains organismes, car la photographie doit aussi nous aider à les identifier. Mais mes photos n’étaient pas très réussies. Je me suis donc rapprochée de Valentin pour qu’il m’aide à faire de plus belles photos.
Valentin Foulon :
Je suis biologiste marin, je travaille à Brest au laboratoire des sciences de l’environnement marin. Je m’occupe de la valorisation biotechnologique. Mon métier est d’identifier des molécules intéressantes dans le milieu marin, que l’on peut valoriser dans divers domaines tels que la santé, l’alimentaire, etc. Ça peut être pour développer de nouveaux antifoulings ou des antimicrobiens par exemple.
Parallèlement à cela, je fais beaucoup de photographie depuis de nombreuses années. Mon travail au laboratoire me donne accès à divers microscopes. Mon travail rejoint ma passion pour la photographie, en me permettant d’observer des organismes minuscules, encore bien plus petits que ceux que j’ai l’habitude de photographier.
Lors de mon temps libre, je fais donc beaucoup d’imagerie d’organismes marins : micro-algues, radiolaires…
Iodysséus - Comment faites-vous pour collecter les échantillons ?
Natalia : Nous trouvons ces organismes en pleine mer et par endroits près de la côte. C’est le cas à Villefranche-sur-Mer ou en Californie, parce que la mer est très rapidement profonde à côté des côtes. En rade de Brest, on n’en trouve pas. J’ai participé à des campagnes de collecte avec des filets à plancton d’une taille de mailles de 64 et 200 microns. C’est assez laborieux d’isoler par la suite les organismes qui nous intéressent. Les échantillons que nous avons photographiés, c’est moi qui les ai recueillis, puis isolés et observés au microscope. Ces organismes se trouvent dans les eaux des surface et aussi dans les eaux profondes (jusqu’à 1000 m et probablement plus profond) de tous les océans. On les trouve aussi dans le sédiment grâce à leur squelette siliceux.
Ma thèse était orientée sur la science fondamentale : je cherchais à savoir s’ils allaient récupérer de la silice dissoute dans l’eau de mer, ce qui est le cas. Nous savons maintenant qu’ils agissent comme les diatomées mais nous ne savons pas si cela passe par un processus équivalent. Ce qui les rend plus complexes à étudier, c’est qu’ils ne peuvent pas se cultiver, comme on peut le faire pour les diatomées. On ne peut donc pas opérer d’expériences en laboratoire sur ces organismes.
Iodysséus - Quel est l’intérêt scientifique de ce travail ?
Valentin : En routine, on utilise la microscopie pour déterminer les espèces des radiolaires. L’espèce à laquelle chacun appartient est déterminée par la forme du squelette. Mais on ne prend pas le temps de faire de belles images. Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’en obtenir de belles images, en y passant un peu plus de temps. Il faut compter environ une matinée de travail pour obtenir les images de deux organismes. Cela nous permet d’obtenir un résultat graphique et artistique plus intéressant.
L’intérêt scientifique réside dans l’observation de structures morphologiques plus fines, qui n’ont pas forcément été décrites.
Iodysséus - Vous ne photographiez que le plancton ?
Valentin : Oui, les images faites avec Natalia sont des images de radiolaires, des cellules animales unicellulaires qui ont la particularité de fabriquer leur squelette en silice. Les diatomées, qui sont des micro-algues, font aussi leur squelette en silice. Ces organismes ont un rôle majeur dans le cycle de la silice dans l’océan. Ils captent la silice dans l’eau, fabriquent leur squelette, puis déposent la silice au fond de l’océan à la fin de leur vie. Ils ont un rôle essentiel dans le cycle de cet élément chimique.
Certains laboratoires les étudient pour leur capacité à produire du verre sans chauffer. Pour faire du verre, nous sommes obligés de chauffer du sable à 1000°C, alors que ces organismes le produisent dans l’eau froide des océans. On les retrouve dans l’ensemble des océans, dans les couches de surface jusqu’au fond des océans.
Dans le cadre du réchauffement climatique, on étudie d’autres organismes qui ont un rôle dans le cycle du carbone. La silice est un cycle géochimique qui est également affecté par les changements climatiques en cours. Nous tâchons de comprendre comment ces cycles seront modifiés par les changements qui s’opèrent.
Natalia : Nous savons que l’acidification des océans a un impact négatif sur les diatomées. Je formule l’hypothèse selon laquelle les radiolaires sont aussi victimes des changements climatiques.
Iodysséus - Sans doute existe-t-il un intérêt pédagogique de faire la promotion de ces micro-organismes marins, comme fait Iodysséus ?
Valentin : Oui, l’intérêt d’avoir de belles images, c’est de pouvoir communiquer. J’aime beaucoup avoir de belles images à montrer aux gens : cela interpelle, fait réfléchir, nourrit la discussion. Au départ, j’ai été seulement conduit par le goût des belles images, mais après avoir photographié plusieurs organismes, nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’en faire quelque chose. Natalia était en contact avec Eric Defert, nous avons commencé à évoquer l’idée d’une exposition, c’est ainsi qu’est né le projet. Nous n’exposerons pas toutes nos images, donc il est possible que nous les exposions dans un autre cadre, plus tard.
Iodysséus - Parlons justement de votre technique photographique. Dans ces photographies incroyables que vous prenez, il y a trois aspects passionnants : l’aspect artistique, dont vous nous parlerez, l’aspect scientifique et l’aspect technique. Comment vous y prenez-vous ?
Valentin : Une fois les échantillons rapportés au laboratoire en vue d’analyses, Natalia les a trouvés si beaux que lui est venue l’idée de les photographier. C’est comme cela que nous avons commencé à les photographier au microscope.
Nous réalisons les photographies à travers deux techniques. La première est la photographie au microscope optique. C’est comme si l’on avait un appareil photo avec un objectif très puissant. Nous nous servons de la lumière pour voir les organismes. Nous les plaçons dans un petit récipient dans l’eau et les observons au microscope. La difficulté, c’est qu’il s’agit de petits organismes mesurant de 0,1 à 0,3 millimètre. Le microscope donne une profondeur de champ définie : il y a une zone nette et une zone floue en arrière-plan. La profondeur de champ est relativement faible avec le microscope, donc la zone de netteté est faible. Etant donné que les organismes sont assez gros, pour obtenir une image nette, nous commençons par photographier le plan le plus net, avant de refaire une mise au point en avançant un petit peu pour une nouvelle photographie d’un autre plan net, etc. Au bout du compte, nous compilons, grâce à un logiciel, l’ensemble des mises au point faites sur l’organisme. D’une cinquantaine de photos prises, nous tirons une photographie finale entièrement nette. C’est un procédé photographique qu’on appelle “z-stacking”. Il s’agit de réaliser des coupes optiques dans la profondeur avant de les compiler.
La deuxième technique, qui concerne la plupart des images qui seront imprimées et exposées grâce à Eric Defert et l’équipe d’Iodysséus, c’est de la microscopie électronique. Le principe est le même que pour un microscope optique, sauf qu’au lieu d’utiliser des particules de lumière (photons) pour voir l’organisme, le microscope utilise des électrons. Ce n’est pas une lampe qui éclaire mais un filament qui envoie des électrons sur l’échantillon. On peut ainsi atteindre des grossissements beaucoup plus importants, en s’affranchissant des phénomènes de diffraction de la lumière qui interviennent quand on grossit beaucoup. Alors qu’en microscopie optique, on arrivera tout juste à voir de loin une petite bactérie de 5 micromètres, la microscopie électronique permet de grossir pour voir parfaitement la bactérie de 0,005 millimètre.
Avec la microscopie électronique, nous plaçons l’organisme radiolaire sur un petit support. Classiquement, on utilise du scotch double face pour les y coller. Le problème est que cette colle n’est pas belle à photographier. Généralement, les images publiées dans les revues ou qui sont exposées, et qui ont été prises au microscope électronique, ont été retouchées sur Photoshop afin d’atténuer l’arrière-plan. Nous avons fait autrement : en utilisant un petit support pour l’organisme, qui sont des feuillets de mica (cette roche que l’on trouve sur la plage, qui brille sous les pieds), nous avons réalisé que c’était très lisse et que cela ferait un bel arrière-plan. Nous avons mis les radiolaires sur ce mica, ce qui donnait un super fond noir sur les images, avec un organisme qui ressortait bien.
Natalia : Ça a évité pas mal de travail sur Photoshop, c’était bien !
Valentin : Dans le microscope, nous avons la possibilité d’incliner le support pour regarder l’organisme de côté. Avec le mica, quand on l’incline à un certain angle, tous les électrons sont renvoyés par le support et le fond devient tout blanc. Sur certaines images, nous obtenons ainsi un organisme sur fond blanc, avec même l’ombre de l’organisme dessinée au-dessous, c’est unique ! C’est un coup de chance qui nous a permis d’arriver à ce résultat. A notre connaissance, personne n’utilise ainsi le microscope électronique. C’est aussi grâce à Philippe Elies de la plateforme d’Imagerie et de Mesure en Microscopie de l’UBO, que nous avons pu réaliser ces images en microscopie électronique ! Sans son aide, cela n’aurait pas été possible.
Iodysséus - Combien d'oeuvres exposerez-vous avec Iodysséus ?
Valentin : Nous allons en exposer cinq, et il y aura dans cette exposition d’autres images d’équipes scientifiques qui ont d’autres choses à proposer. Nous allons aussi déposer nos images sur la photothèque du CNRS.
L’exposition itinérante se tiendra sur deux ans et ouvrira en mai à Carantec dans une nouvelle brasserie qui consacre une partie de ses locaux à la vente et l’exposition d’objets d’art. Ensuite, les photos seront exposées au Salon Polytech de Lyon pour un congrès sur la protection des écosystèmes. Puis, normalement, l’exposition se rendra dans les bureaux de Generali. Les photographies seront tirées en grand format de plus d’un mètre de large.
Natalia : L’idée de l’exposition a surgi après que j’ai raconté à mon chef, Fabrice Not que nous faisions de super photos. Il nous a mis en contact avec Eric qu’il connaissait, et cela s’est fait ainsi. A Iodysséus, nous apportons des images de bonne qualité, et ils nous permettent de les exposer. C’est gagnant-gagnant !
Valentin : C’est une occasion de montrer au public ce que l’on trouve dans l’océan et ce que Iodysséus y prélève. Leur travail nous plaît. Faire de l’océanographie à la voile, ce n’est peut-être pas possible dans toutes les conditions, mais il est évident que c’est appelé à se développer dans les prochaines années, au moins pour les recherches côtières, dans le cadre de la réduction mondiale des émissions de CO2.