Stefan Raimund, SubCtech France
Comment transformer un voilier de compétition de 12 m en plate-forme scientifique pointue, dotée d’une batterie de capteurs physico- chimiques et optiques ? La solution s’appelle SubCtech, un des leaders mondiaux du secteur, capable d’équiper un brise-glace arctique comme un Class 40. Retour avec Stefan Raimund, représentant de la firme allemande à Roscoff, sur un challenge dans le challenge Iodysséus. Un autre challenge réussi.
A ma gauche, le « Dragon des neiges 2»
– 400 pieds, 14 300 tonnes, 90 hommes – premier brise-glace construit par la Chine et lancé en 2019. A ma droite, le modeste voilier Class 40 – 40 pieds, 4,5 tonnes, 4 équipiers – affrété par le programme Iodysséus pour sa mission pilote Objectif Bloom. A priori, pas de rapport. Eh bien pourtant si, le lien existe. Il passe par une firme allemande nommée SubCtech, spécialisée par ailleurs dans le monitoring et les problèmatiques d’énergie des plate-formes pétrolières ou gazières off-shore.
L’un et l’autre, le géant arctique Made in China et le petit poucet de la course au large recyclé en plateforme expérimentale, sont tous deux des navires à vocation scientifique, certes chacun dans sa catégorie. L’un comme l’autre doit l’intégration de son instrumentation océanographique – capteurs optiques et physico-chimiques – à un seul et même opérateur, expert depuis 25 ans des technologies de pointe marines et sous-marines : SubCtech avec un « C » qui se prononce comme « Sea ».
SubCtech est basé à Kiel, grand port allemand de la Baltique où est implanté également Geomar, l’institut océanographique allemand, équivalent de l’Ifremer à Brest. Logiquement, SubCtech équipe, entre autres navires océanographiques français, koweiti, chinois ou australien, le tout nouveau vaisseau de l’Institut de chimie Max-Planck (Mayence), référence mondiale en matière de recherche fondamentale sur l’océan et le climat. Il s’agit, tout comme Iodysséus, d’un voilier, en l’occurrence un maxi de 22 m. SubCtech collabore aussi avec l’Ifremer. Stefan Raimund, docteur en biologie et chimie marine (diplômé notamment à l’UBO de Brest), ancien chercheur lui-même, représente la société allemande à Roscoff du côté de l’historique Station Biologique marine.
SubCtech a déjà 10 ans de savoir-faire dans l'équipement de voiliers de course offshore
Le lien entre le Team Iodysseus et SubCtech s’est noué à Brest via Stefan Raimund sur le Campus Mondial de la Mer brestois, à l’occasion de la Sea Tech Week 2018. Dans sa préparation d’un projet axé sur le Bloom, ou efflorescence planctonique printanière, en Atlantique Nord, Iodysseus recherche alors un intégrateur capable de packager un set de capteurs, défini par les besoins précis de la chercheuse Griet Neukermans du Laboratoire de Villefranche-sur-mer (LOV).
L’étude de la jeune chercheuse belge porte sur un phytoplancton (Ehux) jouant un rôle clé dans le cycle du carbone et l’absorption des excédents de CO2 émis par l’homme dans l’atmosphère. Par ailleurs, ce phytoplancton produit un gaz et des particule « rafraichissants » pour l’atmosphère. Un double effet « Kiss Cool » pour une planète en surchauffe.
De son côté SubCtech connaît bien le genre de problème posé par l’équipement scientifique de voiliers de compétition ou autres. Ses chercheurs ont déjà 10 ans de recul dans la conception de tels modules, baptisés Ocean Pack Race, pour la version course au large. Dernièrement, il ont assemblé deux modèles sur mesure destinés aux monocoques VOR – 65 pieds, soit 22 m – de l’Ocean Race, la mythique course autour du monde en équipage. Deux concurrents de l’édition 2017-2018, sponsorisée alors par Volvo, en ont été dotés : le Néerlandais Akzo Nobel et le team paritaire hommes/femmes skippé par la britannique Dee Cafari aux couleurs de « Turn the tide on plastic » – « Remportons la bataille du plastique » – et des Nations-Unies.
Pour la mission pilote d’ Iodysséus, le défi aussi est de taille, mais il est d’une autre nature. Malgré de stressantes contraintes budgétaires, le protocole requis pour l’étude du Bloom passe par l’installation supplémentaire d’un trio de capteurs optiques de télédétection, en particulier des matières organiques, gaz dissouts et signature colorimétrique du phytoplancton. Des options qui ne figurent pas dans la version Volvo. L’Ocean Pack Race a été dédié à l’origine à la quantification des déchets micro-plastiques dans les océans, une autre cause de premier plan elle aussi. Cependant les dirigeants de SubCtech vont se laisser convaincre par Stefan Raimund d’intervenir. L’ancien chercheur qu’il est a lui-même adhéré au programme Iodysséus qui fournit l’opportunité d’un supplément de visibilité pour l’expertise SubCtech sur le marché français.
« Les dirigeants de SubCtech ont fait un geste conséquent, réellement très important en nous concédant un prix plancher, dans l’esprit d’un vrai partenariat qui nous aujourd’hui nous rapproche», explique Vincent Ménoret, coordinateur scientifique à bord de la mission Objectif Bloom d’Iodysséus.
« Le délai était extrêmement court, à peine six mois pour aboutir à une version customisée d’un des Packs qui ont fait le tour du monde avec la dernière Volvo, et qui nous a été confié par l’entremise de Stefan. C’était un sacré challenge», résume Vincent. L’engagement consenti par SubCtech va avoir pour effet de rendre le projet Iodysséus opérationnel, en dépit de moyens et de temps tous deux compressés.
*Photos réalisées à bord - © Iodysséus/France3
Un trio de capteurs optiques greffé sur l'ocean pack conçu pour une course autour du monde
Pour une précision sans faille, la mission d’adapter l’OceanPack dans une « version 5.1, spéciale Iodysséus », est revenue aux ingénieurs du siège SubCtech de Kiel. Ils ont opéré sur l’OceanPack la greffe d’un trio de capteurs optiques haute performance produits par le N°1 mondial du secteur – l’Américain Sea-Bird – en switchant, ou échangeant, une des fonctions du pack d’origine pour lui raccorder une box sur mesure conçue aux Etats-Unis, à l’Université du Maine. Une « trouvaille » due aux soins du très créatif Professeur Emmanuel Boss, par ailleurs pilote d’une des futures missions satellitaires d’observation de l’Océan par la Nasa et également habitué de Tara.
Au jour J de l’appareillage pour les premiers essais, fin avril 2019, l’Ocean Pack est installé à bord du Class40 Iodysséus, à l’abri d’un cocon fabriqué des mains de Vincent Ménoret. « Le couplage de l’Ocean Pack avec le système optique à trois entrées fonctionne à la perfection », se félicite-t-il. « SubCtech a réussi l’intégration en un temps canon. Le Pack et sa box fonctionnent sans problèmes y compris à la gîte. Cela dit, le dispositif a fait ses preuves dans les 50° hurlants.
Des données en temps réel superposées sur la route du navire
*Photo réalisée à bord - © Iodysséus
« L’OceanPack permet une lecture en temps réel, facilement interprétable, de la variation des paramètres physico-chimiques et de la qualité biologique des eaux de surface qui se superpose au tracé de notre route. A mes yeux, cela ouvre un nouvelle ère pour une océanographie à la voile, respectueuse de l’environnement marin et infiniment plus économique, 10 fois, ou plus, moins onéreuse en termes de coûts que les navires conventionnels : une océanographie d’intervention, réactive, et souple, dont Iodysséus se veut l’avant-garde. Notre ingénieur électronicien, Olivier Sickert, peaufine un écran répétiteur pour mettre sous les yeux du barreur les options de route en fonction des objectifs scientifiques», s’enthousiasme Vincent Ménoret.
« L’OceanPack modifié pour les besoins du LOV de Villefrance-sur-Mer et d’Iodysséus a un fonctionnement nominal. Tout est OK. Cette intégration technologique démontre une fois encore la capacité de SubCtech à trouver les solutions sur mesure à des problématiques particulières», observe Stefan. Pour la petite histoire, un système optique EcoTriplet de Sea-Bird, identique à celui d’Iodysséus, a été embarqué sur le RSY Eugen Seïbold de l’Institut Max Planck. « Nous n’aurions aucun problème à réaliser un système de transmission des données en direct et en temps réel par voie satellitaire. Nous l’avons fait pour une cliente Philippine : c’est une question d’ordre purement budgétaire », explique-t-il. Peut-être un jour à bord d’Iodysséus ?
Les objectifs d’Iodysséus en font un programme exclusif
A ce jour, un autre voilier de compétition, l’Imoca (18, 28 m) du team Malizia skippé par Boris Hermann, candidat au Vendée Globe 2020-21, est équipé d’un Ocean Pack. « Mais il s’agit d’une version plus simple et plus légère (25 kilos), dit Stefan, avec un focus restreint autour du CO2 dissout, l’une des causes de l’acidification critique des océans. Le Pack d’Iodysséus est plus riche en capteurs, plus lourd aussi (30 kilos) en raison de sa vocation initiale : il correspond à des exigences pointues en terme de mission. Pour moi, les deux projets diffèrent dans leurs buts. Du côté de Malizia, il s’agit moins de rentrer dans des protocoles contraignants ultra-pointilleux, comme c’est le cas d’Iodysséus, que d’alimenter de la data et un programme de sensibilisation et d’éducation des jeunes».
Malizia, dont l’écurie est pilotée par Boris Herrmann et Pierre Casiraghi, président du Yacht Club de Monaco, a touché Brest, port d’arrivée de la Bermuda 1000 Race au moment où Iodysséus achevait la phase II de sa mission Objectif Bloom. « Un joli clin d’oeil à SubCtech que de voir les deux voiliers équipés par nos soins naviguer dans les mêmes eaux», sourit Stefan Raimund.
Pour sa part Iodysséus prévoit de s’aligner lui aussi dans des courses offshore, telle la prochaine Québec Saint-Malo (2020), en alternant des missions opérées pour des chercheurs de l’unité mixte Canado-française Québec Oceans/CNRS et une participation à l’épreuve.
Que le sport voile soutienne la science et la préservation de l’Océan : c’est du gagnant-gagnant.